La loi de la Conspiration

Il y a des cons gros comme des camions, et des cons discrets comme des moucherons. Des cons de salon, parfumés au bon goût de la conversation mondaine, et des cons de canton, un peu terreux, plus sincères.

Il existe des compétents, des compétitifs, des compassionnels et des complètement confus. Il y a des contents, des contrariés, des conviviaux, et des complètement consternants, des convaincus et des cons qui se posent encore des questions – mais rarement longtemps.

Il y a même des cons du matin, des cons de l’après-midi, et des cons de la pleine lune, plus rêveurs que compromettant. Il y a des cons solitaires, des cons grégaires, des cons voyageurs et même des cons casaniers, qui préfèrent rester bien au chaud dans leurs propres convictions.

Concrètement, on ne peut plus faire trois pas sans tomber sur un con.

C’est une constante universelle, un complot cosmique, une conspiration de l’absurde. Ils pourraient  même aujourd’hui constituer, une majorité silencieuse… et bruyante.

Le con, compagnon de route involontaire, est omniprésent : il conduit, consomme, complique, contamine, condamne et, surtout, il contredit. Par principe. Consciencieusement, ils se concentrent, se concertent parfois, pour construire un monde à leur image. Un concept

Comptez-les : au coin de la rue, à la comptabilité, dans les concerts, aux conseils municipaux, dans les conseils d’administration, les consortiums, dans les congrégations, les conglomérats, au café, au bureau, dans les comptoirsbondés, dans les conférences soporifiques. Ils avancent à leur rythme, parfois seul, parfois en cortège, souvent en complète confiance. Impossible de contourner le phénomène : c’est une constellation infinie de cons en tout genre.

Le con est un comédien de l’absurde, un compagnon d’infortune imposé. Compulsif, il compare, complote et complique tout ce qui pourrait rester simple. La comédie facile et la compassion conditionnelle conjointement connectées. Il voit une information ? Il la contorsionne jusqu’à la rendre méconnaissable. Il entend un mot nouveau ? Il le conjugue de travers et l’étale avec la convivialité d’un goret dans une mare. Il compatit, parfois, mais uniquement quand ça l’arrange, et surtout s’il peut en tirer une quelconque compensation émotionnelle ou sociale, il confisque alors la douleur des autres pour en faire son propre concert de lamentations.

Le con, ce combattant de la bêtise éclairée, confond, compétence et complaisance, confiance et condescendance, complexité et complication. Il communique en éructant des opinions composites, souvent sans queue ni tête, mais avec une conviction bétonnée.

Il compresse son avis dans des formules brèves, il contourne la logique avec l’aisance d’un chat un peu ivre, et surtout, il continue. Il condamne ce qu’il ne comprend pas, il compartimente ses pensées, il comprime la complexité en slogans de trois mots. Complètement à côté de la plaque, mais content de lui.

Confortablement installé dans sa certitude, il contemple le monde à travers ses œillères customisées. Toute remise en question ? Conspuée. Toute réflexion ? Condamnée. Tout doute ? Considéré comme une faiblesse de petite nature. Concentré d’égoïsme, il compile les pires réflexes, conforté par son clan de clones cognitivement approximatifs. Ça complote sec entre eux : ça critique, ça combine, ça compartimente le réel pour ne garder que ce qui conforte leurs conditions moisies.

Comble du raffinement, le con moderne se connecte. Ah ! Quelle merveille que la technologie au service de la connerie, il commente tout, tout le temps, sans jamais consulter sa cervelle au préalable. Confondant vitesse et précipitation, il commente compulsivement, convaincu de son génie.

Conquis par sa propre prose, il compile ses exploits : théories fumeuses, conseils absurdes, condamnations définitives. Il est à la fois commentateur sportif de l’incompétence, commentateur politique de la contradiction permanente et commentateur philosophique du néant. Tout ce qui n’entre pas dans ses cases compartimentées est conspué, caricaturé, crucifié sur l’autel de la connerie universelle.

Essayer de discuter avec eux ? C’est comme vouloir expliquer la physique quantique à un hérisson énervé. Au mieux, ils comprennent de travers, au pire ils condamnent au bûcher des « vendus du système ». Attendez-vous à une conflagration cognitive immédiate. La dissonance explose comme une confiture trop fermentée : ça colle, ça pue, et ça tache tout autour.

Complices de leur propre déchéance intellectuelle, les cons s’autocongratulent en boucles. Ça s’autolike, ça se complimente, tout en conspuant les moindres traces de complexité ou de contradiction.

Et attention, le con n’est jamais seul. Non, il collabore avec d’autres cons pour former des conglomérats d’inepties, des confédérations de crétinerie. Ça construit des théories, ça conteste la gravité, ça conjecture des complots intergalactiques… Ça colporte, ça commente, ça comprime la nuance.

Convaincu de sa supériorité intellectuelle, il parle avec une conviction d’airain.

Et parfois, entre deux silences, surgit l’une des grandes lois universelles :

« il n’y a pas plus condescendant qu’un con qui s’ignore. »

Le pire ? C’est que cette connerie est contagieuse. Oui, messieurs dames. La connerie, cette combinaison diabolique d’ignorance, d’orgueil et de mauvaise foi, se propage comme une pandémie émotionnelle. Le moindre débutant, confronté à un cluster de cons, risque la contamination. En quelques semaines, il pourrait passer de « personne normalement constituée » à « complotiste convaincu » ou « coach en crypto-éveil quantique ». La contamination est lente, insidieuse, mais redoutable.

Comprenez bien : les cons ne sont pas des anomalies. Ce sont les composants naturels de notre époque. Ils composent, recomposent et décomposent le débat public avec la grâce d’un hippopotame sous kétamine. Le con est convaincu qu’il est un phare dans la nuit. En réalité, il est une luciole sous acide. À force de concessions au ras des pâquerettes, de consensus mous, de « faut pas juger », la société entière devient un gigantesque comptoir de banalités, une concession à la bêtise crasseuse.

Alors oui, les cons sont partout.

Et non, ce n’est pas une phase passagère : c’est un état stable, un contrat social tacite signé sans qu’on vous demande votre avis. Alors, luttons contre l’envahissement de la connerie. Contournons les provocations. Continuons à penser, à douter, à complexifier, à questionner. Restons, ceux qui savent encore contempler la beauté d’une idée bien tournée, ceux qui préfèrent comprendre avant de condamner, ceux qui considèrent que la pensée est un art qui mérite mieux qu’une compilation de « j’aime » virtuels. Bref : ceux qui, avec élégance, refusent de converger vers la connerie.

Et acceptons malgré tout, avec compassion, d’être ceux qui consentent que c’est peut-être justement cette inconscience qui leur donne un charme si particulier. Le con est un artisan de l’imprévu. Il complète le décor, met du désordre dans l’ordre, de la complexité dans la routine, et parfois même, de la poésie dans l’absurdité. Un vrai compromis.

Alors, dans ce carnaval, reconnaissons ce possible consensus : nous aussi, parfois, nous enfilons sans le savoir le costume à grelots du con sympathique.

Sans connivence compatissante, au fond, ne sommes-nous pas  tous les cons de quelqu’un d’autre ?

Un monde sans cons serait un monde infiniment plus malencontreux, après tout, sans eux, la vie serait peut-être trop lisse, trop complaisante.

À tous les CONS et ils se reconnaitront.